Marie, Reine du Ciel ? Une étude Biblique

Le jour de la fête de l’Assomption, le pasteur Giles Boucomont demande, sur Twitter :

La question comporte quelques lacunes, que l’on attribuera à la limite de 140 caractères de Twitter 🙂

En premier lieu, Apocalypse 12,1 nous parle d’un « grand signe […] dans le ciel : une femme enveloppée du soleil, la lune sous ses pieds, et une couronne de douze étoiles sur sa tête. » Si la « Reine du Ciel » ne peut être qu’Astarté, et que la Bible décrit une femme couronée au ciel, cela signifie-t-il donc qu’Apocalypse 12 parle de la déesse païenne ? Assurément non. Par ailleurs, il y a un roi païen qui se fait appeler « Roi des Rois » (Esd 7,12), et pourtant personne ne s’imagine que c’est de lui dont il s’agit quand nous chantons « Roi des Rois, et Seigneur des Seigneurs » avec Händel. Les païens appellent leurs dieux « Dieu », mais nous ne les confondons pas avec le seul vrai Dieu.

Ainsi le fait qu’un titre a été utilisé à tort ne signifie pas qu’il ne peut pas désigner quelqu’un qui le mérite mieux, ni qu’il soit réservé. Si on veut argumenter que le titre Reine du Ciel n’est pas usurpé par Astarté mais lui est « réservé », c’est Jésus qu’on insulte, car l’ange promet qu’il « sera grand et sera appelé Fils du Très-Haut, et le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David, son père, […] et son règne n’aura point de fin ». (Lc 1,32) Jésus hérite (et sublime) la couronne de David. S’il y a bien quelqu’un qui exerce la royauté au Ciel, c’est lui. Mais comment alors peut-on dire de Marie qu’elle est “Reine du Ciel” sans porter atteinte à la dignité du Christ ? Il y a plusieurs raisons bibliques, que nous allons explorer ici :

1. La gebiyrah

Dans la royauté davidique, l’autorité royale était partagée avec la mère du roi, la gebiyrah (‘גְּבִירָה), et non à son épouse (puisqu’il en avait souvent plusieurs !). Ainsi dans les longues listes des lignées royales que nous trouvons dans les livres des Rois, chaque roi est introduit par une formule bien précise, qui spécifie à quelques rares exceptions près : 1/ le nom du roi (patronyme compris), 2/ le moment où il prit le trône, 3/ la durée du règne, 4/ le nom de sa mère et 5/ la fidélité ou non du roi aux préceptes divins. Par exemple :

La dix-huitième année du règne de Jéroboam, fils de Nebath, Abiam devint roi sur Juda. Il régna trois ans à Jérusalem. Sa mère s’appelait Maaka, elle était la fille d’Absalom. Il imita tous les péchés que son père avait commis avant lui.  (2 R 15,1-3)

La vingt-septième année du règne de Jéroboam, roi d’Israël, Azarias, fils d’Amasias, roi de Juda, devint roi. Il avait seize ans lorsqu’il devint roi, et il régna cinquante-deux ans à Jérusalem. Sa mère s’appelait Jékolie ; elle était de Jérusalem. Il fit ce qui est droit aux yeux du Seigneur, tout comme avait fait Amasias, son père. (1 R 15,1-3)

Le rôle et la dignité de la gebiyrah sont illustrés par deux interactions entre Bethsabé et les rois David (son mari) et Salomon (son fils). Dans le premier cas, le roi David est âgé. Bethsabe veut s’assurer que son fils Salomon va bien hériter du trône, alors elle se présente à David pour présenter sa requête :

Et Bethsabée entra chez le roi, jusque dans sa chambre. Le roi était très vieux […] Bethsabée se mit à genoux et se prosterna devant le roi. Le roi lui demanda : « Que désires-tu ? » (1 R 1,15-16)

Alors David l’informe que tout va bien se passer selon ce qu’il avait promis. Plus tard, il meurt, et Salomon devient roi. À ce moment, Adonias (un des fils de David) s’adresse à Bethsabée : « Demande, je te prie, au roi Salomon – car il ne te repoussera pas – de me donner pour femme Abishag la Sunamite. » (1 R 2,17)

Bethsabée se rendit chez le roi Salomon pour lui parler en faveur d’Adonias. Le roi se leva, vint à sa rencontre et se prosterna devant elle. Puis il prit place sur son trône. Il fit installer également un trône pour la mère du roi, et elle prit place à sa droite. Elle dit : « Je n’ai qu’une petite demande à te faire : ne me repousse pas ! » Le roi lui dit : « Demande, ma mère, je ne te repousserai pas ! » (1 R 2,19-20)

Ici les rôles sont inversés : par rapport à David, Bethsabée n’était qu’une de ses femmes, certes la préférée, mais elle se prosterne devant le roi. Mais la gebiyrah, elle, était unique, et honorée selon les commandements divins. Ce n’est plus à elle de se prosterner, c’est le roi qui se prosterne et qui l’assoit à sa droite. Personne d’autre de tout le royaume n’avait droit à de tels égards. (Et notons au passage que Bethsabée intercède depuis cette position.)

Si Jésus est roi sur le trône de David, sa royauté rejaillit sur sa mère. Il règne au ciel, donc Marie est la gebiyrah du ciel.

2. « La Femme » de l’Apocalypse

Le livre de l’Apocalypse dit :

L’arche de son alliance apparut dans son temple. […] Un grand signe parut dans le ciel: une femme enveloppée du soleil, la lune sous ses pieds, et une couronne de douze étoiles sur sa tête. Elle était enceinte, et elle criait, étant en travail et dans les douleurs de l’enfantement. Un autre signe parut encore dans le ciel ; et voici, c’était un grand dragon rouge. […] Sa queue entraînait le tiers des étoiles du ciel, et les jetait sur la terre. Le dragon se tint devant la femme qui allait enfanter, afin de dévorer son enfant, lorsqu’elle aurait enfanté. Elle enfanta un fils, qui doit paître toutes les nations avec une verge de fer. Et son enfant fut enlevé vers Dieu et vers son trône. Et la femme s’enfuit dans le désert, où elle avait un lieu préparé par Dieu, afin qu’elle y fût nourrie pendant mille deux cent soixante jours.Et il y eut guerre dans le ciel. […] Il fut précipité, le grand dragon, le serpent ancien, appelé le diable et Satan, celui qui séduit toute la terre, il fut précipité sur la terre, et ses anges furent précipités avec lui. […] Quand le dragon vit qu’il avait été précipité sur la terre, il poursuivit la femme qui avait enfanté l’enfant mâle. Et les deux ailes du grand aigle furent données à la femme, afin qu’elle s’envolât au désert, vers son lieu, où elle est nourrie un temps, des temps, et la moitié d’un temps, loin de la face du serpent. […] Et le dragon fut irrité contre la femme, et il s’en alla faire la guerre aux restes de sa postérité, à ceux qui gardent les commandements de Dieu et qui ont le témoignage de Jésus. (Ap. 11, 49-12,17)

Avant d’aller plus loin, notons que ce livre regorge d’images fortes avec plusieurs niveaux de sens. Il n’est donc pas possible d’avoir une lecture parfaitement linéaire du sens du texte. Néanmoins certaines choses sont clairement dites. L’enfant mâle, nous dit-on, est celui qui doit « paître les nations avec un sceptre de fer ». Il y a la une référence évidente au Psaume :

J’ai sacré mon Roi sur Sion, la montagne de ma Sainteté. Je vous réciterai quel a été ce sacre ; l’Eternel m’a dit : tu es mon Fils, je t’ai aujourd’hui engendré. Demande-moi, et je te donnerai pour ton héritage les nations, et pour ta possession les bouts de la terre. Tu les briseras avec un sceptre de fer (Ps 2,6-9)

Il s’agit donc là de celui qui hérite de la royauté de David : le Christ.

Le dragon, nous dit-on, est « le serpent ancien, appelé le diable et Satan ». La référence nous était de toute façon bien lisible, mais la précision efface tout doute. Mais pourquoi l’auteur parle-t-il du serpent ancien ? Il y a la une référence évidente à la chute d’Eden et au serpent tentateur, et en particulier à la première bonne nouvelle (ou « protoévangile ») de la Bible : 

[L’Eternel Dieu dit au serpent :] Je mettrai inimitié entre toi et la femme, et entre ta semence et la semence de la femme ; cette [semence] te brisera la tête, et tu lui briseras le talon. (Gn 3,15)

La scène de l’Apocalypse se présente comme une réalisation de cette première prophétie, qui montre la semence (l’enfant mâle, Jésus, le nouvel Adam, cf. Rm 5,12-21) de la femme qui remporte la victoire sur le serpent. Ce parallélisme est souligné encore un peu plus loin, quand on nous dit que les chrétiens ( = « ceux qui gardent les commandements de Dieu et qui ont le témoignage de Jésus ») sont le « reste de sa postérité », faisant donc de la femme la mère de tous ceux qui ont la nouvelle vie, alors que dans la Genèse, « Adam donna à sa femme le nom d’Eve: car elle a été la mère de tous les vivants. » (Gn 3,20).

Se pose donc la question : qui est cette « femme enveloppée du soleil, la lune sous ses pieds, et une couronne de douze étoiles sur sa tête » ? Trois interprétations sont classiquement données : Israël, l’Église et Marie.

Les douze étoiles rappellent à la fois les douze patriarches et les douze apôtres.

Mais la Femme est-elle l’Église ? Pas uniquement, puisque elle n’enfante pas le Christ, et est déjà présente dans la scène, dans le « reste de sa postérité ». Est-ce Israël ? Pourquoi pas. Le peuple juif n’a pas reconnu en Christ son messie, alors que la femme et son fils restent d’un même cœur dans l’Apocalypse. Toutefois il y a un sens où ceux qui suivent Jésus sont enfants d’Abraham.

Mais il y a aussi de bonnes raisons de voir Marie dans la femme d’Apocalypse 12.

1/ Jean écrit, juste avant de décrire « la Femme » : « l’arche de son alliance apparut dans son temple ». Or quel a été le réceptacle (ou plus exactement, qui ?) de la présence de Dieu dans la nouvelle Alliance ? Marie a été couverte de l’ombre de l’Esprit Saint (Lc 1:35) comme l’Arche était couverte de la gloire de Dieu (Ex 40,34-35; Nb 9,18, 22) Le récit de la visitation d’Elisabeth par Marie (Lc 1, 39-45) comporte d’ailleurs de forts parallèles avec le récit du voyage de l’Arche de l’Alliance et son accueil par Obed Édom (2 S 6,9-14). Par ailleurs l’Arche contenait le bâton du grand prêtre Aaron, de la manne et le décalogue, qui sont trois types du Christ, le grand prêtre par excellence (He 5,1-10), le pain miraculeux venu du ciel (Jn 6,32-35) et la parole divine faite chair (Jn 1,14)

2/ Les autres protagonistes sont des personnes réelles (et pas seulement des symboles) : le serpent (Satan), l’enfant mâle (Jésus), l’archange, le peuple chrétien. Donc ce serait logique de voir dans la femme une personne réelle.

3/ La femme est décrite comme la mère du Messie, donc le sens premier le plus évident est Marie.

4/ Pourquoi alors Jean, l’auteur de l’Apocalypse, ne la désigne-t-il pas par son prénom, tout simplement ? Et bien justement, il est coutumier du fait. Quand Jésus s’adresse à Marie dans l’évangile de Jean, il l’adresse en tant que .. Femme  : « Femme, qu’y a-t-il entre moi et toi ? » en Jean 2,4 et « Femme, voilà ton fils. » en Jean 19,24. Pourquoi ? Peut-être veut-il souligner le fait qu’en Jésus s’accomplit la prophétie messianique de Gn 3,15 (et celle de Jer 31,22) ? Quoi qu’il en soit, l’utilisation de « Femme » sous la plume de Jean renforce l’hypothèse qu’il désigne ainsi Marie.

Il y a d’ailleurs bon nombre de parallèles entre Ap 12 et Jn 19 : La « Femme » (Ap 12,1 & Jn 19,26), est la mère du Messie (Ap 12,5 & Jn 19,26), mais sa maternité est élargie aux fidéle(s) disciple(s) (Ap 12,17 & Jn 19,26-27). Le serpent est vaincu, la victoire assurée et le Christ est couronné de gloire (Ap 12,7-12 & Jn 12,23-31) mais cela passe d’abord par les douleurs de l’enfantement (Ap 12,2, cf. Jn 16,21 qui parle de la Croix). Les différents éléments de ces deux scènes sont aussi présents dans le protoévangile de Gn 3,15.

Mais « la Femme » d’Apocalypse 12 est décrite comme étant : 1/ au ciel (Ap 12,1), 2/ avec un corps (on parle de ses pieds, de sa tête, du fait qu’elle soit enceinte) et 3/ couronnée de douze étoiles, donc portant les attributs de la royauté, plus exactement de la royauté du peuple de Dieu, la royauté davidique.

Qui est cette femme, alors ? A titre personnel, je ne vois pas de nécessité de trancher arbitrairement. Je pense que la Femme d’Ap. 12 représente à la fois (et en premier lieu) Marie et le peuple de Dieu (Israël et l’Église). C’est la Fille de Sion, l’épouse virginale, qui trouve sa meilleure expression en Marie.

Et l’Assomption alors ?

Tout cela touche de manière connexe à la question de pourquoi nous croyons à L’Assomption. De quoi s’agit-il exactement ? Les catholiques croient que Marie, « à la fin du cours de sa vie terrestre, a été élevée en âme et en corps à la gloire céleste. » (Encyclique Munificentissimus Deus, 44).

Il faut ici souligner que la Bible comporte d’autres exemples de personnes qui ont été élevées au ciel. Hénoc, le patriarche, marchait avec Dieu « puis il ne fut plus, parce que Dieu le prit. » (Gn 5,21-24), le prophète Elie, lui, fut enlevé par Dieu au ciel dans un tourbillon. (2 R 2,8-12).

Quelques précisions au sujet du dogme de l’Assomption méritent d’être énoncées :

  • La déclaration dogmatique reste silencieuse sur la question de si Marie est morte ou non avant son assomption.
  • Jésus est monté au ciel (activement), Marie « a été élevée » (passivement)
  • Nous croyons que l’âme de ceux qui sont sauvés monte au ciel. La particularité de Marie, tel que le définit le dogme de l’Assomption, c’est que son corps est aussi monté au ciel, alors que les autres dans la présence de Dieu attendent la résurrection des corps (proclamée dans le credo que partagent protestants et catholiques)

Tout cela, nous ne le croyons pas seulement pour des raisons scripturaires. Il faut savoir que, comme la Résurrection ou le fait que Pierre ait fondé avec Paul l’Église à Rome (où ils ont été martyrisés) ou encore la cessation de la révélation publique à la mort du dernier apôtre, l’Assomption est d’abord une réalité historique. Nous croyons ces choses non pas parce que Dieu les a révélées directement mais parce qu’elles ont eu lieu.

Qui plus est, comme la mort de Pierre à Rome ou la cessation de la Révélation publique ou encore la clôture (et donc le contour) du canon, ces choses sont ultérieures à la rédaction du Nouveau Testament (et ce par nécessité logique pour ces deux derniers exemples), et donc extra-bibliques. Ainsi la question des fondements bibliques de l’Assomption, même si elle est intéressante, ne fait pas le tour du sujet.

Deux éléments historiques soutiennent la foi dans l’Assomption.

Tout d’abord, l’Église primitive adoptait une attitude très conservatrice, se traduisant par de violentes querelles (qui parfois secouaient tout l’Empire Romain) sur des questions théologiques qui peuvent sembler, au premier abord, particulièrement pointues et anecdotiques. Mais la promulgation au quatrième siècle de la fête célébrant l’Assomption n’a occasionné aucune remarque, aucune controverse. Ceci ne s’explique que s’il n’y avait rien à débattre, que si la croyance était si profondément ancrée et répandue depuis si longtemps que personne n’y vit de raison de s’en offusquer.

Par ailleurs, comme le savent nos frères séparés, l’Église Catholique – et la piété populaire – préserve avec soin et même honneur les reliques des saints. Qu’on approuve ou non cette pratique n’est pas ici la question, mon seul point est qu’elle existe depuis fort longtemps (elle est par exemple attestée dans le Martyre de Polycarpe, écrit vers 155) et de manière répandue. Les grandes villes chrétiennes se targuaient de posséder une relique de tel ou tel saint, et plus il était ancien et proche des apôtres, plus grande était la fierté. Des chrétiens vénéraient des reliques de tous les contemporains de la Vierge, de Jean Baptiste aux douze apôtres. Imaginez maintenant que l’Assomption ait été inventée, par exemple au moment où la fête a été promulguée. Jérusalem ou Éphèse auraient déjà depuis longtemps annoncé avoir les reliques du corps de Marie et auraient protesté avec véhémence.

Or il n’en est rien.

Aucun siège apostolique, aucune ville majeure du paysage chrétien primitif n’a jamais prétendu avoir de reliques de Marie (fussent-ils d’origine douteuse, là n’est même pas la question). Au contraire, au moment du Concile de Chalcédoine, en 451, lorsque les évêques de toute la Méditerranée se réunirent à Constantinople, l’Empereur Marcian demanda au Patriarche de Jérusalem d’apporter les reliques de Marie pour qu’ils puissent être conservés précieusement au capitole. Le patriarche expliqua à l’empereur qu’il n’y avait pas de reliques de Marie à Jérusalem, car « Marie est morte en présence des apôtres mais sa tombe, lorsqu’elle fut ultérieurement ouverte […] se trouva être vide, de sorte que les apôtres conclurent que le corps avait été enlevé au ciel. » (Fr. Clifford Stevens, The Assumption of Mary, a belief since apostlic times)

Et alors ?

Je n’ai pas abordé ici la question épistémologique (pour faire simple : « Est-ce que seule la Bible a autorité en matière de foi ? »), mais le but de tout ce qui précède n’est pas de montrer à nos frères protestants qu’ils doivent croire à l’Assomption, mais simplement de souligner que ce dogme a une fondation biblique au moins aussi solide que certains autres éléments de la foi que nous partageons avec eux. (Comme par exemple le contour du canon du Nouveau Testament, ou la cessation de la révélation générale, qui sont par nécessité des données extra bibliques car ultérieurs à la rédaction de la Bible).


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